La réforme Peillon concerne tous les enseignants

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Telle qu’elle est projetée, la révision des obligations de service menace la condition de tous. Dans l’immédiat, c’est pour les enseignants de classes préparatoires que le projet a les conséquences les plus lourdes : on peut légitimement parler de mépris (nos représentants ne sont pas conviés à la discussion) et d’agression sans précédent à travers la suppression de tout motif d’allègement de service. Les professeurs dont l’obligation réglementaire de service dépasse 10 heures hebdomadaires de cours perdront des heures supplémentaires et la rémunération de leurs interrogations orales diminuera ; ceux qui ont moins devront atteindre ces 10 h, probablement par attribution d’une classe supplémentaire, en Cpge ou dans le secondaire – même un professeur de chaire supérieure peut exercer en second cycle pour « nécessité de service ». Au mieux nous perdrons du pouvoir d’achat (dans une fourchette de 10 à 30 %), au pire nos conditions de travail se dégraderont. Au passage, des postes disparaîtront.

Qu’il y ait derrière cette attaque une vindicte particulière de nos décideurs à l’encontre des professeurs de Cpge, c’est aussi certain qu’absurde. Ce n’est pas sans raison que depuis deux siècles la France éprouve le besoin de former l’essentiel de ses futures élites par le système Cpge/grandes écoles. On peut reprocher bien des choses à ce système, du moins assure-t-il sa mission sans exclure qui que ce soit sur critères financiers et il attire comme le souligne un récent rapport officiel – de 2012 à 2022 les effectifs de l’enseignement supérieur devraient augmenter de 7,8 %, mais les Cpge enregistreraient la progression la plus forte ( + 12,3 %). Il suppose certes un effort collectif : un élève de Cpge « coûte » plus cher qu’un étudiant mais l’échec massif en premier cycle des universités a aussi un prix et nous ne sommes pour rien dans le fait que notre pays a scandaleusement négligé les siennes. Contribue à ce coût des Cpge la rémunération versée aux enseignants. Elle surpasse celle des professeurs du secondaire. Encore faut-il rétablir trois vérités :

. les professeurs de Cpge ne sont pas une « caste » : la grande majorité a enseigné plusieurs années dans le second cycle (huit ans en collège et cinq en lycée pour ma part).

. à échelon identique un agrégé en Cpge n’est pas mieux payé que son collègue du secondaire : l’ORS est certes de 10 h au lieu de 15 mais le traitement  de base reste le même. Seules les HSA, mieux payées qu’en second cycle et les « khôlles » peuvent faire une différence, mais les situations varient énormément selon les filières, les disciplines, les personnes, et c’est en tout état de cause un travail supplémentaire – les collègues de lycée qui assurent une partie de nos « khôlles » le mesurent bien. Il est vrai qu’on peut accéder plus vite à la hors classe et devenir, au-delà de 45 ans en général, professeur de chaire supérieure. Mais la hors classe n’est en rien réservée aux professeurs de Cpge et ses indices sont strictement identiques à ceux des professeurs de chaire supérieure.

. en dépit de quelques cas tout à fait particuliers montés en épingle (cf site de l’APPLS), nos traitements n’ont rien d’exorbitant. Un professeur de chaire supérieure comme un agrégé hors classe termine sa carrière avec un traitement net mensuel de 3 674 euros. C’est certes plus qu’un professeur certifié mais c’est ce dernier qui est notoirement sous-payé – le traitement moyen des enseignants français est de 20 à 25 % à la moyenne OCDE. Et ce n’est pas indécent au regard des compétences académiques (ancien normalien souvent, tout professeur de Cpge doit désormais être docteur) et pédagogiques (nous sommes nommés par l’Inspection générale, au vu des rapports d’inspection), des responsabilités et de la charge de travail en sus de la présence devant les élèves – plusieurs semaines de travail en été pour adapter les cours à des programmes renouvelés chaque année en classe de concours ; autour de 40 heures en moyenne pour corriger 45 dissertations d’hypokhâgne ou de khâgne, chiffre à multiplier par 9 ou 10 dans l’année pour qui a deux classes, situation fréquente – la régularité de ces apprentissages singularise les Cpge : les professeurs en acceptent le prix, mais il est inadmissible que le ministère fasse mine d’ignorer celui-ci.

C’est aussi à comparer aux salaires des jeunes à la sortie des grandes écoles – un diplômé de HEC commence sa carrière au salaire moyen de 53 100 euros par an, et la progression n’a ensuite rien à voir avec la nôtre. Pense-t-on que rémunérer les enseignants les plus chevronnés moins bien que leurs tout récents anciens élèves permettra d’attirer vers ce métier les talents dont il a impérieusement besoin ? Les enseignants dans leur ensemble ont intérêt à la présence en leur sein de catégories qui peuvent servir de référence pour améliorer leurs conditions matérielles. Nul ne fait ce métier par appât du gain. Nous devons cependant rappeler à M. Peillon que comme tout un chacun nous travaillons pour gagner notre vie et « notre argent nous intéresse ».

Mais le projet Peillon bien au-delà du haro sur « les professeurs surpayés de Cpge ». Dans l’immédiat, il frappe aussi ceux de BTS, de Première et de Terminale –comme si enseigner en classe de concours ou d’examen n’alourdissait en rien la charge de travail ! Surtout, les annonces présentes présagent des lendemains difficiles pour tous. Un seul exemple : on supprime dans le calcul de l’ORS des professeurs de Cpge la décharge d’une heure pour sureffectif  (plus de 35 élèves) : comme si prendre en charge 25 ou 48 étudiants (plafond légal en Cpge, parfois dépassé du reste) ne faisait aucune différence ! Si cette mesure est entérinée, rien n’interdira d’appliquer demain le même principe au secondaire : exit alors le plafond des 35 élèves…

Il y a une totale hypocrisie à présenter la réforme projetée comme nécessaire à l’amélioration du sort des professeurs de ZEP : leur obligation de service ne sera qu’à peine allégée et ils ne seront pas, semble-t-il, mieux payés pour autant. Cette amélioration est certes nécessaire mais, puisqu’on a décidé de recruter 40 000 professeurs supplémentaires dès 2013/2014, il doit être possible de la réaliser sans dégrader la condition de la majorité des professeurs qui enseignent hors ZEP, dont beaucoup en poste dans des établissements difficiles non étiquetés ZEP. Hypocrisie aussi parce que le Ministère de l’Education nationale stigmatise l’abus d’heures supplémentaires par une poignée de professeurs « cupides » alors même qu’il enjoint aux chefs d’établissement d’intégrer un quota minimum de HSA dans les services des enseignants : elles coûtent bien moins cher que les heures postes – d’autant que leur amputation de 17 % imposée par C. Allègre en 1998 n’est plus compensée depuis la refiscalisation des heures supplémentaires (seule la première heure reste réévaluée).

Le projet vise  en réalité à accroître la charge de travail des professeurs à coût constant. Un ballon d’essai est lancé. Il stigmatise des catégories prétendument « conservatrices » et « nanties ». En l’absence de réaction, demain, tous les enseignants seront visés : les indemnités peuvent être réduites (professeur principal, conseils de classe), les tâches périscolaires devenir obligatoires et sous-payées, les effectifs des classes alourdies, les options regroupées, etc.

Notre ministre n’est pas en train de « refonder l’école ». Il répercute les consignes de Bercy : faire travailler plus les enseignants en les payant moins. Nous n’avons pas à faire les frais de l’impéritie du pouvoir. Si l’on veut réduire le déficit budgétaire, bien d’autres pistes, infiniment plus justifiées, existent – le ministère des Finances devrait le savoir, lui qui rémunère généreusement ses hauts fonctionnaires.

Christian BARDOT, professeur d’histoire en hypokhâgne et khâgne – Lycée Lakanal, Sceaux